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A ta mémoire
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8 septembre 2006

III Cassandro

Souvent, je songe à Alice, aux portes qu'elle m'a ouvertes. Je sais très bien que c'est grâce à elle que je me suis intéressée à la magie.
Je me suis connectée sur Internet pour mes recherches, sous le pseudonyme de Nausicaa. C'est ainsi que j'ai rencontré un homme qui se désignait sous le nom de Cassandro.
Nous commençâmes par nous présenter. Je lui expliquai que j'avais bientôt dix-huit ans, que j'étais en terminale et que je m'intéressais aux esprits. Cassandro fut très réservé sur son identité.
"J'ai une trentaine d'année, je suis prof de lettres, et je te conseille d'oublier cette histoire d'esprit."
"Je ne peux pas. Pourquoi, que veux-tu dire?" répondis-je.
"Bien, si tu y tiens, je t'expliquerai tout, mais pas ici. Donne-moi ton e-mail et je t'enverrai un message."
Je lui communiquai mon adresse éléctronique. Peu après, je reçus un long message de mon nouveau correspondant.
"De Cassandro à Nausicaa,
Que connais-tu déjà des esprits que tu cherches? Pas suffisamment à mon avis, car sinon tu ne te lancerais pas dans cette quête. Tu es jeune, Tu dois être curieuse, impétueuse. Et donc imprudente. L'imprudence peut te conduire à ta perte, dans l'invisible. Les entités que tu souhaites côtoyer, ou que tu côtoies peut-être déjà, ont une supériorité, un grand avantage sur nous. Tous ne les voient pas, ils agissent dans l'ombre, la clandestinité, dans le dos et à la barbe de tous. Nous sommes trompés par nos sens, nous avons peur de l'invisible. Combien est répandu le vieil adage "je ne crois que ce que je vois!". Combien est stupide ce raisonnement! Il se passe ainsi tant de choses sans que les hommes le sachent! Les hommes sont tellement attachés à leurs valeurs matérielles, à leur argent, à leur confort et à leur consommation, qu'ils refusent de voir plus loin que ce que leur corps leur montre. Nous savons, nous, que les choses importantes ne sont pas forcément visibles. Dans le cas de ces entités, il ne dépend pas seulement de nous de les voir, mais nous les sentons. Et en cela, ils sont dangereux. Certains ne souhaitent absolument pas que les humains soient conscients de leur présence sur terre. Ils sont prêts à tout pour conserver leur clandestinité, pour qu'on ne sache rien de leur existence. Ils n'ont pas de consistance mais ils sont capables de beaucoup.
Je ne te donnerai qu'un seul conseil, Nausicaa, ou qui que tu sois derrière ce nom. Oublie cette histoire, oublie ces fantômes et tu n'en vivras que mieux. Il faut laisser les morts en paix.
Sois bénie.
Cassandro."
Après avoir parcouru ce message, j'en fus très secouée. Il venait de soulever un problème que je n'avais jamais envisagé. J'exagère: j'y avais bien sûr pensé, sinon le contact avec ces entités ne m'aurait jamais procuré une telle terreur. Mais depuis mes rencontres avec Alice, nos longues discussions, son incroyable maturité, son expérience, m'avaient convaincue de l'inoffensivité de ces êtres. Je pensais que la peur venait de l'ignorance que la plupart des gens ont de cet univers, et de l'association à l'idée de mort. Je n'avais pas pensé qu'ils puissent faire du mal.
Cela dit, j'avais du mal à saisir le sens réel de ses mots. Cassandro voulait-il vraiment me protéger? Ou m'écarter de l'ésotérisme? Pourquoi? Je voyais mal également comment les esprits pouvaient me faire du mal. Comme Cassandro l'avait dit, ils n'avaient pas de consistance. Leur aspect effrayant semblait être leur seule arme. Très souvent, comme Alice, ils gardaient sur le visage les crispations, les mouvements, les expressions de leurs dernières heures de vie. Tout cela m'échappait, aussi décidai-je de lui répondre en lui expliquant la situation dans laquelle je me trouvais.
"Nausicaa à Cassandro,
Je comprends ton empressement à me protéger de ces esprits et je t'en remercie. Mais ton inquiétude est infondée. L'une de ces entités m'a contactée. Je suis medium, je les vois, je parle avec eux, ils me répondent. Ils font partie de mon quotidien, et c'est pour cela que je veux mieux les connaître. Tu me conseilles de les oublier: je ne peux pas, ils sont là, et cela ne dépend pas de ma volonté. Aussi, si tu refuses de m'aider, il est inutile de t'escrimer à vouloir m'en dissuader.
Un jeune fantôme prénommé Alice m'a instruite de ce monde invisible, mais elle est partie et j'ai besoin de poursuivre mon apprentissage. Savoir le plus possible, ne pas prendre le risque de me laisser surprendre, voilà comment je veux me protéger dans cet univers. Je te serai éternellement reconnaissante si tu partageais tes connaissances avec moi.
Bien à toi,
Nausicaa."
La réponse me parvint le lendemain, et je fus surprise de sa brièveté et du changement de ton qui s'y était opéré.
"De Cassandro à Nausicaa,
Tes connaissances en la matière semblent être bien installées, et tu es décidée, aussi n'insisterai-je pas. Mais tu n'as pas l'air de te rendre compte de la gravité de la situation. C'est très sérieux. Tout ce que je peux faire désormais, c'est t'indiquer une protection sure et efficace.
Sois bénie,
Cassandro."
Sous la signature, je reconnus un lien vers une page internet. Il me suffisait de cliquer sur l'inscription et je saurais ce qu'il voulait dire. Mais une appréhension me saisit. Dans quoi allais-je m'embarquer? Je regardai autour de moi. Ma chambre était plongée dans l'obscurité, éclairée uniquement par l'écran de l'ordinateur. La maison était silencieuse, à cause de l'heure tardive. Je regardai mes oreillers sur mon lit, la petite lampe de chevet, le lustre plissé, le placard fermé. J'hésitai.
Mon sang se glaça soudain. Je sentis une présence, une indescriptible impression de n'être plus seule. Je fixai sans le voir mon écran d'ordinateur. Dans le coin gauche de mon champ de vision, j'entr'aperçus une silhouette. Je tournai la tête. Une femme d'une trentaine d'année, debout dans ma chambre. Je tressaillis. Elle portait une robe blanche et une ceinture de soie bleu ciel. Ses cheveux châtain clair étaient retenus dans sa nuque en chignon. Elle pencha gracieusement sa tête sur le côté.
- Que fais-tu? demanda-t-elle.
J'observai les dentelles de sa robe, le lacet de son corset, les rubans de soie. Je situai son décès à la fin du XIXème siècle. J'avais pris l'habitude d'évaluer ainsi mes visiteurs.
- Ce serait un peu compliqué à t'expliquer. Pour faire simple, je consulte une immense bibliothèque.
Elle s'approcha de l'écran.
- Et tous les livres tiennent dans cette petite boîte? Quelle puissante magie!
Je souris.
- Comment t'appelles-tu?
- Carla Collini.
- Italienne?
- Mon père est italien. Etait italien.
Une ombre passa dans ses yeux gris; je n'insistai pas.
- Je peux faire quelque chose pour toi?
- Oh non, j'avais juste besoin de compagnie.
Elle fit lentement le tour de ma chambre, caressant une babiole, touchant la poupée en porcelaine, jouant avec le bout des rideaux. Je la surveillais du coin de l'oeil. Je savais pertinemment que je ne la voyais pas avec mes yeux. Ces créatures nous apparaissaient sur le plan astral, un plan superposé au notre, celui de nos pensées, un monde non physique où règnent les âmes. Je la voyais donc par mon esprit, par une petite fenêtre qui m'était ouverte sur ce monde. C'est celui que l'on rejoint en rêve, celui où stagnent les esprits quand ils restent parmi nous. Immatériels, ils n'existaient que sur ce plan. Je comprenais ce que me disait Cassandro:l'homme est tellement focalisé sur le physique, sur le matériel, qu'il en a oublié qu'une partie de lui voit des choses invisibles. Il a négligé l'esprit, et l'esprit s'est fermé. Sa clairvoyance s'est atrophiée. De temps en temps, une fenêtre s'ouvre, le brouillard s'estompe, une faculté disparue dans l'évolution ressurgit, comme un gène méditerranéen ancestral qui fait naître un enfant brun aux yeux noirs dans une famille blonde au teint pâle. La fenêtre s'est ouverte dans ma tête. Je suis devenue l'intermédiaire entre ces deux mondes, la médiatrice. Le medium.
Je reportai mon attention sur l'écran de mon ordinateur. Le lien était toujours là. Prenant mon courage à deux mains, je me répétai plusieurs fois que je ne risquais rien, que je pourrais toujours me déconnecter, fermer la page et oublier, puis je cliquai, avant de lâcher la souris comme si elle m'avait brûlé, et de joindre les mains sur mes genoux, comme une condamnée attendant son sort.
Carla se pencha par-dessus mon épaule pour voir ce que je faisais.
L'écran devint noir, puis des lettres apparurent, écrivant lentement la présentation du site.
"Nous sommes tous des sorciers. Vous comme moi. Mais vous ne le savez pas. Si vous êtes ici, c'est que vous voulez savoir. Bienvenus dans mon antre..."
J'ouvris des yeux ronds. C'était la première fois que je voyais le mot sorcier. Bien sûr, l'image du démon, l'idée d'un pacte diabolique s'imposa à mon esprit. Pourquoi Cassandro m'envoyait-il ceci?
- Pas de jugement hâtif, me souffla Carla.
Les morts sont tellement plus sages que les vivants...
Je poursuivis ma visite du site. Le premier article décrivait le principe astral avec une précision surprenante. J'en fus bouleversée: j'étais une sorcière? Sans le savoir? Même les medium étaient évoqués. Leurs activités n'étaient qu'une forme de sorcellerie naturelle, innée, puisque la sorcellerie consistait en "agir sur ou demander l'aide de puissances supérieures qui existent sur un autre plan que le nôtre, et ce, de façon variées".
Le message de Cassandro s'éclaircissait. Tu n'es pas seule. Tu as un don.
Je regardai autour de moi. Carla était partie. J'étais seule, à nouveau. Je poursuivis ma lecture. Les rituels de magie, blanche, les cérémonies et les voyages astraux, tout cela ne m'intéressait pas. Je ne voulais pas être sorcière, en tout cas pas plus que je ne l'étais déjà. Je me contentais tout à fait de ce que j'avais mais Cassandro avait évoqué le danger, et la connaissance. C'était tout ce que je voulais savoir: où était la danger? Comment m'en protéger? Dans le sommaire, je repérai la partie "Entités maléfiques".
" Enumérer toutes les entités maléfiques serait un travail long, fastidieux et inutile. Elles sont de natures bien trop nombreuses et différentes. Si cependant vous êtes confrontés à une entité précise, voyez la partie "Quelles sont ces entités?". En tout premier lieu, j vous donne quelques rituels de protection basiques."
Des rituels. J'en eu froid dans le dos. Comment pourrais-je avoir le courage de faire ces choses? Machinalement, j'enregistrai les rituels sur mon disque dur, histoire de les avoir portée de main. C'était ça, ce que Cassandro m'avait envoyée chercher. Je me déconnectai. Pensive, figée. Sorcière malgré moi. Je préférais le terme de medium. J'éteignis l'ordinateur, plongeant la pièce dans le noir.
Cassandro, qu'as-tu fait? Quel trouble as-tu jeté dans mon esprit? Pourquoi m'as-tu laissé entrevoir que je pouvais contrer ces forces? Pourquoi m'as-tu révélé ce pouvoir qui était à ma portée? Et pourquoi l'ai-je saisi? Pourquoi ai-je tracé ce cercle de protection, qui me procura ce sentiment d'invincibilité?
Voulais-tu ma perte? Peut-être savais-tu que je prendrais goût à cette puissance. Qu'à partir de ce jour où j'ai tracé ce cercle, où j'ai installé cette bulle de protection, ce bouclier autour de moi, je n'ai plus agi de la même

façon. Qu'au lieu d'écouter les esprits qui m'apparaissaient, j'ai commencé à les prier, à les appeler, à agir sur eux, et même à leur donner des ordres, retranchée derrière mon armure invisible.
Peut-être savais-tu que je me griserais de ce pouvoir et que ça tournerait mal. Qu'as-tu fait, Cassandro?


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Commentaires
B
Bon, cette fois, c'est sur, c'est pas qu'une histoire, ou alors t'es tellement plus que dans le sujet... Enfin, bref, tu as une très belle façon d'écrire :)
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