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A ta mémoire
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4 décembre 2006

I Quand un rêve devient plus réel que la réalité

Le lendemain, Raphaël est revenu. Lorsque j'ai vu qu'il commençait à se détendre en ma compagnie, j'ai décidé de faire de même. Il me demanda de lui raconter encore des histoires sur moi, comme la veille. Je lui confiai toute sorte de secrets: mes peurs, mes doutes, mes regrets vis-à-vis de ma famille et de ma sœur, mes ambitions quant à l'avenir. Il écoutait dans un silence presque religieux, buvant la moindre de mes paroles.
- Parle encore, dit-il alors qu'il trouvait un de mes silences trop long. J'aime le son de ta voix. Parle encore.
- Que veux-tu que je te raconte? Je t'ai déjà tout dit.
- Tu ne m'as pas parlé de tes amours.

Là, il abordait un sujet épineux. Renfermée de nature, j’avais eu peu de petits amis et pas plus d’un ou deux amants. Je n’arrivais pas à m’attacher. Je passais déjà trop de temps dans mon cercle magique pour m’attarder à ces futilités de la vie. J’étais déjà complètement déconnectée de la réalité. Je baissai la tête et fixai le bout de mes sandales. Le lit sur lequel j’étais assise grinça sous mon poids. Raphaël était assis sur le lit à côté de moi. Du moins, il en donnait l’illusion. Je savais pertinemment qu’il n’exerçait aucune force sur le matelas.

- Pardon, murmura-t-il, c’est une question indiscrète et…

- Je crois que je fais fuir les hommes, coupai-je.

Il écarquilla ses yeux verts.

- Je ne vois aucune raison.

- Ah oui ?

- Eh bien… tu es intelligente, gentille et douce, drôle, pleine de grâce et de charme, belle comme tout,… Je ne vois pas ce qui pourrait clocher.

Cette pluie de compliments fit tourner mes joues à l’écarlate.

- Quelque part, tu me rassures, dis-je. Mais avoue que passer mon temps à parler à des morts que je suis seule à voir peut jeter de sérieux doutes sur ma santé mentale…

Je regrettai aussitôt ces paroles. A force de se conduire en vivant, il m’avait fait oublier qu’il était mort.

- Je comprends, murmura-t-il. Si tu veux que je parte…

- Non ! Non, reste. Je n’aurais pas dû dire ça.

- Mais tu as raison. Tu es vivante, tu devrais vivre. Sortir, voir du monde, faire les choses que tu as envie de faire. Profiter de la vie pendant que tu le peux encore. Je sais de quoi je parle.

Encore cette tristesse ! Mais qu’avait-il donc ?

- Bonne nuit, Leïla.

- Attends, ne pars pas.

- Il est tard. Je reviendrai demain.

- Et les autres soirs ? demandai-je avec une nuance d’espoir dans la voix.

- Les autres soirs aussi. Tu as encore beaucoup de choses à me raconter.

Il disparut. Ma chambre me parut soudain horriblement vide. Je me couchai avec quelques regrets et une sensation de manque que je ne parvenais pas à identifier.

Effectivement, il est revenu tous les soirs. Chaque soir, je me préparais longuement à sa venue : je vérifiai longuement ma tenue, ma coiffure, je voulais être certaine qu’aucun détail ne soit laissé au hasard. J’allumais des bougies, je faisais brûler de l’encens pour créer cette ambiance mystique dans laquelle je me sentais si bien. Je crois bien que ça lui faisait plaisir. Ca peut paraître difficile à comprendre, même pour moi. Mais depuis, j’ai eu le temps de réfléchir à la conduite de Raphaël, et je me suis fait ma théorie.

Lorsque je me préparais à sa venue, je ne négligeais rien. Ma chambre impeccable, les rideaux tirés, la décoration, le parfum. Le parfum, surtout. Vous allez comprendre. J’agissais comme s’il était un invité de marque, comme une adolescente à son premier rendez-vous. Il me fallait flatter ses sens, son ego, toute sa personne pour le convaincre de rester le plus longtemps possible. Je l’accueillais exactement comme j’aurais accueilli un être de chair et de sang comme moi. C’est là qu’intervient le parfum. L’encens brûlait toute la soirée et je n’hésitais pas à me parfumer d’une fragrance différente chaque soir. Raphaël avait perdu le sens physique de l’odorat. Mais là où d’autres de sa condition auraient pu se sentir offusqués ou même insultés, il semblait considérer cela comme une valorisation puisque je tentais de lui rappeler, sinon de lui procurer, les plaisirs de la vie. Il passait souvent de longues minutes à regarder le bâtonnet d’encens se consumer, et je me débrouillais toujours pour laisser le flacon de mon parfum en évidence quelque part, là où j’étais sure qu’il finirait pas le voir. Je pense qu’il essayait, en regardant le bâton ou le flacon, de se remémorer ou d’imaginer les senteurs qu’il avait probablement connues de son vivant.

Etre ainsi traité comme un vivant était quelque chose qui plaisait énormément à Raphaël. Je crois que c’est une des raisons qui l’ont poussé à vouloir toujours en savoir plus sur moi. Quant à moi, j’étais sous le charme. Ses yeux verts tristes et insistants me convainquaient de me dévoiler toujours un peu plus. Je n’exigeais rien en retour, je me confiais en toute impudeur et à vrai dire, cela me faisait du bien. Nous y trouvions chacun notre compte.

Toujours est-il qu’au bout de quelques semaines de ce régime, Raphaël savait tout de moi. Ma vie jusque dans ses moindres détails, mes secrets les plus honteux, mes folies de jeunesse, mes terreurs les plus noires, mes rêves les plus grandioses. Je lui ai même révélé, un soir où la conversation était légère comme autour d’une bouteille de champagne, mes fantasmes les plus fous. Autant dire qu’il me connaissait mieux que moi-même.

Lui, par contre, parlait peu de lui. Je ne lui demandais jamais de le faire, mais il semblait très réservé sur sa vie. Sa vie avant sa mort. On aurait dit que quelque chose de très douloureux l’empêchait de revenir sur cette période. Je devinais que c’était également la raison de cette éternelle tristesse. J’aurai voulu qu’il me raconte, qu’il se confie lui aussi, qu’il en tire ce soulagement que j’en avais retiré.

Au bout d’une dizaine de visites consécutives, je décidai, après son départ, de le questionner sur sa vie la prochaine fois que je le verrais. Mais j’eus peu de temps pour réfléchir à mes questions : il était déjà près de trois heures du matin et je tombais de sommeil. J’enfilai un pyjama en satin et, à peine couchée, je m’endormis comme un bébé.

C’est d’abord la lumière qui m’a surprise. Le soleil brillait, il faisait bon. Pas une de ces canicules de juillet, non. Un doux soleil de mai, suffisant pour reléguer au placard les cols roulés. Cette pensée me fit baisser les yeux sur ma tenue. Un débardeur et une longue jupe vaporeuse. Blanche. C’est là que j’ai compris que j’étais en train de rêver. Je n’ai jamais eu de jupe blanche. Je m’étais endormie et je rêvais. Mais ce rêve était différent. Il était d’abord particulièrement précis. Je distinguais les brins d’herbe, la légère brise, les nuages dispersés. Mais surtout, ce rêve était différent car il ne s’y passait rien. J’étais là, assise sous cet arbre à l’ombre rafraîchissante, lissant distraitement du bout des doigts les plis de ma jupe blanche, et j’attendais. Dans les rêves classiques, il y a un événement, une action si je puis dire. Une succession d’images qui donne l’impression d’évoluer. Et généralement, nous subissons cette histoire onirique. Il est rare que nous ayons la possibilité de choisir le thème d’un rêve, les répliques que l’on voudrait se voir prononcer.

Dans ce rêve-ci, j’avais la sensation d’être maîtresse de la situation. Si je décidais de bouger la main, je pouvais le faire. Mon rêve m’obéissait. Je me levai, juste pour vérifier que je contrôlais chaque geste. C’était incroyable.

Je regardai autour de moi. Qu’allais-je bien pouvoir faire ? La réponse ne se fit pas attendre. Je vis une silhouette vêtue de vêtements clairs. Je dus attendre qu’il soit assez près pour reconnaître Raphaël.

- Bonsoir ! lui lançai-je, ravie.

- Bonjour, répondit-il. Re-bonjour, plus exactement. Pourquoi bonsoir ? Regarde le soleil, il est près de midi.

-Non, il est quatre heures du matin, et je suis endormie dans mon lit.

Il eut un petit rire et baissa la tête. J’eus la désagréable sensation qu’il se plaisait à savoir quelque chose que j’ignorais.

- Sais-tu où tu es, Leïla ?

Je jetai un regard aux alentours. De verts pâturages à perte de vue. C’était magnifique.

- Pas du tout.

- C’est l’Est des Etats-Unis. Il y a près de dix heures de décalage. S’il est quatre heures du matin chez toi, il est environ midi ici.

- Tu es venu ici ? De ton vivant, je veux dire.

- Non, jamais. Mais on m’en a tant parlé que j’ai toujours eu envie d’y venir.

Je laissai mon regard courir sur les collines.

- Raphaël…

- Oui ?

- Si je ne suis jamais venue ici, comment puis-je vois cet endroit en rêve ?

- Mais simplement parce que tu y es.

Je le regardai comme s’il était fou.

- Mais je suis dans mon lit en train de dormir.

- Ton corps s’est endormi. Tu n’as jamais essayé de travailler tes rêves ?

Je secouai la tête. Il écarta les mains, comme s’il ne savait pas par où commencer.

- Lorsque tu dors, ton esprit a la possibilité de vivre des expériences qui échappent à ta conscience et à son contrôle.

- Tu veux dire rêver ?

- Les rêves ne sont ni plus ni moins que des voyages astraux dont on n’a pas conscience. Ils sont prudents : l’esprit ne gagne généralement que des lieux connus. Et il les modifie par son imagination.

- Tu veux dire que quand je rêve, je quitte mon corps ?

- Veux-tu aller ailleurs ? Je te suis.

- Comment dois-je m’y prendre?

- Concentre-toi. Comme pendant un rituel, le reste viendra instinctivement.

Je fermai les yeux. Aussitôt je me sentis emportée par une bourrasque de vent qui aurait pu m’enlever du sol. Les sensations étaient diverses et contradictoire, entre l’envol et la chute. Je me retenais pour ne pas hurler. Lorsque le tourbillon se calma, j’ouvris les yeux. Une plage.

Du sable blanc sur des kilomètres, la mer bleu foncé, quasiment noire, et pourtant si transparente. Les étoiles si nombreuses, si brillantes. Et la pleine lune, se reflétant sur le miroir de la mer en une longue traînée de lumière.

- Où sommes-nous ? chuchota Raphaël.

- Au Sud de la Corse.

- C’est magnifique. Tu viens souvent ici ?

- J’y suis venue il y a quelques années. J’ai toujours voulu y revenir.

Il resta un long moment silencieux. Puis il dit doucement :

- Je ne t’ai pas tout dit à propos des rêves. Ils sont légèrement différents des voyages astraux classiques.

- Ah oui ? Et en quoi ?

Pour toute réponse, il me prit la main.

 

Le geste en lui-même me surprit, car je ne m’y attendais absolument pas. Il l’avais probablement fait dans un élan d’affection, comme toutes les fois où il avait essayé de me toucher et où sa main m’avait traversée sans le moindre contact. C’est alors que je réalisai : il m’avait touchée. Il serrait doucement ma main, je sentais la chaleur de sa paume contre la mienne. Il était tangible, aussi solide que s’il avait été vivant.

Je levai un peu ma main pour regarder nos doigts entrelacés. Je sentais leur pressions, presque douloureuse. Je ne pouvais plus articuler un mot.

- Tu… bégayai-je.

- C’est l’avantage du rêve. Nous sommes exactement sur le même plan.

- Nous pouvons nous toucher, répétai-je comme si je ne pouvais rien dire d’autre.

- Oui, dit-il en riant, c’est ce que je me tue à t’expliquer.

- C’est super ! m’écriai-je en lui sautant au cou.

Imaginez seulement la joie que j’ai ressentie en sentant ses cheveux contre ma joue, ses bras se refermer sur moi, tout, tout, il était complètement réel, complètement là, complètement à ma portée. Je ne pouvais m’empêcher de serrer mes bras autour de son cou, de toucher son visage pour m’assurer que je le sentais toujours sous mes doigts. Il riait de mon enthousiasme.

- Arrête, tu vas finir par me casser quelque chose.

- Pardon, c’est juste que c’est… tellement incroyable.

J’ai honte de l’avouer, mais à cet instant, j’aurais voulu ne jamais me réveiller. Car malgré ses réprimandes, l’attitude de Raphaël n’était pas très différente de la mienne : tantôt étreignant ma main, tantôt caressant mes cheveux, il se régalait de mon contact. J’ai perdu toute notion de réalité lorsque, presque trop brusquement, il m’attira à lui pour m’embrasser.

Oui, il m’a embrassée. Et ce baiser n’aurait pas été plus réel s’il m’avait été donné éveillée. Au contraire, il agissait sur mes sens de l’intérieur, depuis mon esprit, comme si le message nerveux partait directement du cerveau jusqu’au bout des lèvres. Je répondais à ce baiser car j’étais lucide : j’en avais envie depuis qu’il m’avait soignée, quelques semaines auparavant. J’étais folle, complètement folle. Mais je m’en fichais.

Nous avons passé la nuit à regarder les étoiles. C’était merveilleux, tout simplement. Sentir Raphaël contre moi, sa main sur mon épaule, son souffle contre mon oreille, je savourais chaque détails. Lui, pourtant, semblait préoccupé.

- Qu’est-ce qui ne va pas ? demandai-je.

- C’est une bêtise.

- Je sais. On peut en reparler plus tard ?

Il m’embrassa. Il avait raison. C’était de la pure folie. Mais lui, au moins, il en avait conscience. Moi, non. Il était inutile de me demander de la retenue dès lors qu’il était possible de se voir, de se toucher et d’être ensemble. Plus aucune objection ne tenait la route. Ce ne fut que lorsque je vis le soleil de l’aube poindre et s’élever au-dessus de la mer que je compris : il allait bien falloir que je me réveille un jour.

Lorsque le réveil sonna, je mis du temps à le reconnaître. Le bruit semblait venir de partout et de nulle part.

- Il est temps de partir, dit Raphaël.

- Non, pas déjà.

- Tu dors tous les soirs, Leïla.

Il m’embrassa une dernière fois, longtemps.

J’ouvris les yeux. Mon lit, ma chambre. Et ce réveil, qui n’arrêtait pas de sonner ! Je l’éteignis d’un petit coup de poing, puis tentai de me rendormir, d’aller le rejoindre. Allez donc vous rendormir quand vous n’avez pas sommeil ! Horriblement frustrée, je me débarrassai de mes draps d’un coup de pied, certaine que tout le café du monde n’arrangerait pas mon humeur.

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Commentaires
D
Merci de ton soutien, la fin arrive bientôt... N'hésite pas à me donner ton avis, ça me fait très plaisir!
B
Et oui, c'est re moi :)<br /> Ravie de voir une suite à ta nouvelle, surtout qu'il y a toujours pas mal de choses réalistes. Enfin... Réaliste d'un point de vu ésotérique mdr<br /> Enfin, j'aime toujours beaucoup :D J'espère que j'aurais l'occasion d'en lire encore plus tard ^^<br /> Bonne continuation :D
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