Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A ta mémoire
A ta mémoire
Publicité
Archives
8 septembre 2006

VI Raphaël

En ce qui me concernait, j'avais retenu la leçon de Melinda. Je ne tenais pas à être à nouveau dans une situation que je ne pouvais maîtriser. Mais ça ne dépendait plus de moi. Mon altercation avec Stanislas avait apparemment fait du bruit. J'étais revenue à une magie beaucoup plus douce et passive, par prudence. Mais ils ne l'entendaient pas de cette oreille.
Je ne me rappelle plus tous les détails. Ils ont débarqué dans ma chambre un mardi soir. Je me le rappelle, parce que c'était le lendemain de mon vingtième anniversaire. On était en plein mois de juillet et je passais mes vacances chez mes parents avant de rejoindre mon appartement en ville, en septembre. J'étais allongée sur mon lit, la tête dans les nuages. Quand j'ai tourné la tête, je les ai vu. Ils étaient peut-être quatre ou cinq. Je ne sais pas s'ils m'ont frappée. Comme les esprits agissent sur le plan astral, j'ignore ce qu'ils ont fait, comment ils sy sont pris. Toujours est-il que lorsqu'ils sont partis j'ai ressenti un atroce mal de tête, comme si mon cerveau avait été passé à tabac. De petite gouttes de sang tombaient de mes narines et de mes oreilles. La douleur était insoutenable. J'étais sur le point de perdre conscience lorsque quelqu'un d'autre est arrivé.
Je ne l'ai pas vu car ma vue était brouillée et mon troisième oeil endolori. J'ai simplement entendu sa voix. Grave et chaleureuse. C'était un homme, et il disait:
- Quelle bande d'imbéciles.
Je poussai un petit cri.
- N'aie pas peur. Je viens t'aider. Reste tranquille. Si tu bouges, la douleur sera pire encore.
- Qui êtes-vous? parvins-je à articuler.
- Un ami.
- Que s'est-il passé?
- Ils ont voulu t'ôter tes dons de medium. Ils n'y sont pas arrivés, heureusement.
La douleur commença enfin à s'estomper. Ma vue s'éclaircit peu à peu.
- Essaye de quitter ton corps, conseilla mon visiteur.
Dans un effort de concentration surhumain, je parvins à me lever en laissant derrière moi mon enveloppe charnelle. Le conseil était judicieux: avec mon corps, j'avais laissé toute la douleur. Les entités m'avaient une fois de plus prouvé leur supériorité: elles m'avaient atteinte physiquement.
Je regardai mon mystérieux assistant. C'était effectivement un homme, jeune, vingt-cinq ans tout au plus. Il portait une chemise blanche. Ses cheveux mi-longs et ses yeux verts achevaient de faire de lui un personnage très romantique, artistiquement parlant. On voyait cependant que sa mort était récente, par l'expression perdue de son regard et le désordre apparent de sa personne.
- Ca va mieux? demanda-t-il.
- Je n'ai plus mal. Qui êtes-vous?
Il soupira.
- Raphaël.
Il semlait incroyablement triste. Il fixait mon corps physique allongé sur le lit.
- Merci Raphaël.
Il me regarda, visiblement surpris.
- Mais de quoi?
- D'être là. Vous n'étiez pas obligé. Sans vous, je n'aurais jamais songé à quitter mon corps.
- Surprenant. A ta place, c'est la première chose que j'aurais fait.
Honteuse, je baissai les yeux.
- Je ne suis pas encore une sorcière très douée.
- Je ne suis pas d'accord. Tu es douée, c'est indéniable. Tu manques d'expérience, c'est tout.
Un fantôme sympathique! Mes trois dernières rencontres m'avaient laissée sans espoir d'en retrouver un jour.
- Au fait, toi qui voulais tant savoir mon nom, tu pourrais peut-être me donner le tien.
Il avait dit ces mots d'une voix très douce, pleine de tact. Je réalisai que je ne m'étais même pas présentée. J'avais tellement l'habitude que mes visiteurs me connaissent que je ne leur donnais jamais mon nom.
- Leïla. Je m'appelle Leïla.
- C'est un joli prénom.
Raphaël essayait de me mettre en confiance. C'était vraiment délicat de sa part.
 Il reporta son attention sur mon enveloppe charnelle.
- Tu es dans un sale état.
- Que puis-je y faire?

- Toi, je ne sais pas. Je peux tenter quelque chose. Tu m'y autorises?
Même les vivants que je connaissais n'étaient pas si respectueux! Cela dit, j'hésitais. J'ignorais quel effet il pouvait avoir sur mon corps physique. Le dernier exemple était peu rassurant.
- Que comptez-vous faire?
- S'ils ont pu t'infliger ces blessures en tant qu'esprit, je peux essayer de les guérir de la même façon.
- Logique. Allez-y.
- Je vais faire attention, dit-il avec un bref sourire.
Il tendit sa main immatérielle au-dessus du front du corps inerte sur le lit, sans le toucher (comment l'aurait-il pu?) Je ne vis absolument rien mais au bout de quelques minutes, mes oreilles cessèrent de saigner. Raphaël retira sa main.
- Ca ira mieux ainsi, dit-il.
- Merci. Merci infiniment.
- Ne me remercie pas, c'est normal.
Il se leva et poussa un long soupir.
- Je vais te laisser maintenant.
- Déjà?
Le mot m'avait échappé. Je n'avais pas envie qu'il parte. Il m'avait accordé de l'attention lorsque j'en avais besoin, et surtout, j'avais peur de rester seule, peur que mes agresseurs reviennent. Sa présence était rassurante. Il semblait en être le premier surpris.
- Vous ne voulez pas rester un peu? demandai-je timidement.
Il ne savait pas quoi répondre.
- Je ne peux pas rester.
- Ah.
Il vit que j'étais déçue et chercha quelque chose à ajouter.
- Je reviendrai si tu veux. Demain soir. Ca te va?
Je hochai la tête, peu convaincue. J'avais le temps d'être attaquée vingt fois avant le lendemain.
- Ils ne reviendront pas, déclara Raphaël.
- Sûr?
- Certain. Au revoir.
Il disparut en un clignement de paupières. Je réintégrai mon corps. Aucune douleur. Au contraire, une douce sensation de chaleur, une torpeur agréable. Il était tard. Le temps de passer à la salle de bain et je sombrai dans un profond sommeil.
La journée du lendemain fut une interminable attente. J'étais anxieuse à l'idée de revoir Raphaël. Ce n'était pas un esprit comme les autres, et généralement les esprits pas comme les autres ne m'apportaient que des problèmes. Il m'avait apporté son aide mais elle n'était certainement pas gratuite.
Après le dîner, je m'enfermais dans ma chambre et m'installai devant l'ordinateur pour tuer l'ennui. Je commençai une partie de solitaire. Je jouai pendant dix bonnes minutes. Le jeu semblait bel et bien bloqué lorsqu'une voix souffla à mon oreille.
- La dame de coeur sur le roi de coeur.
Je crus avoir une crise cardiaque. Je me retournai vivement. Raphaël était là.
- Je t'ai fait peur? Je suis désolé.
Il semblait inquiet.
- Ca va, répondis-je. J'ai été surprise, c'est tout.
Il esquissa un sourire et ajouta:
- Bon, tu la joues cette dame de coeur? Je le ferai bien à ta place, mais...
Il leva les mains en signe d'impuissance avec un sourire désolé. Je jouai la dame de coeur. Le jeu était fini. J'avais gagné. Je regardai Raphaël avec un sourire surpris. Puis je fermai le jeu.
- Bonsoir, dis-je.
Raphaël retint un petit rire. C'était l'effet que j'attendais. Il ne devait pas rire très souvent.
- Je peux vous poser une question? demandai-je.
- Bien sûr.
- Pourquoi êtes-vous venu hier?
- Parce que...
Il hésita.
- J'ai été vivant, moi aussi, tu sais.
- Nostalgique?
- Oui.
Il leva vers moi son regard vert et triste.
- Tu es allé trop loin avec Stanislas, Leïla.
- Je le sais. Mais Melinda...
- Melinda a eu raison de venir. Son intervention était largement suffisante. Tes agresseurs n'avaient aucune raison d'insister.
- Donc vous êtes venus juste parce que vous trouviez ça... injuste?
- Oui et non.
Il marqua une pause.

- Je suis venu parce que je savais que tu étais médium et ...
- Ca va, coupai-je.
Je me détournai, vexée. Je croyais qu'il était venu pour m'aider, mais c'était par intérêt. Comme les autres.
Raphaël eut alors un geste très surprenant. Il lança ses mains vers moi, comme s'il voulait saisir les miennes. Bien sûr, il me traversa sans que je ne l'ai senti, même si j'eus un mouvement de recul, surprise par la vivacité du geste. Raphaël laissa sa main posée à travers la mienne, en la contemplant. Cette attitude était très étrange de la part d'un esprit.
- Qu'y a-t-il? murmurai-je.
- Je suis venu parce que tu me rappelles la vie. Tu es mon lien avec la vie.
- Mais tu regrettes la vie à ce point?
Il poussa un long soupir et me regarda. J'étais passé au tutoiement sans même m'en rendre compte. Il ne l'avait pas relevé.
- Quand es-tu..?
Le mot "mort" me paraissait trop sale pour quelqu'un comme lui.
- Il y a un mois.
- Ca fait peu. Je suis désolée.
- Ne t'en fait pas, dit-il avec un sourire pâle.
- Si je peux faire quelque chose...
- Oui.
Il fit un pas vers moi.
- Parle-moi de toi. Comme si j'étais toujours là.
Encore une réaction bien étrange. Les esprits préfèrent généralement faire leur deuil et gérer leur nouvelle vie, comme Stanislas. Raphaël semblait se raccrocher à la vie de toutes ses forces. Quête vaine et épuisante. Je lui parlai donc. Je lui racontai ma journée, mes activités, ma famille. Je lui parlai de Gabrielle, qui avait dix-huit and et venait d'obtenir son baccalauréat. Des détails. Comme si je lui ouvrais un album photo. Parfois il souriait. J'avais l'impression qu'il cherchait à tout assimiler, à vivre à ma suite cette vie que je lui racontais. Mais lorsqu'un baillement m'interrompit au milieu d'une phrase, il s'excusa.
- Je sais qu'il est tard, mais j'oublie parfois que je ne ressens pas la fatigue.
- C'est ça, les passionnés, dis-je d'une voix rendue faible à force de parler.
- Passionné, répéta-t-il. Il est temps de se coucher, Leïla.
- Oui, papa.
A ma grande joie, il sourit. Assise sur mon lit, je le regardai s'éloigner un peu, en marchant. C'étais une démarche très vivante. Il conservait toutes les habitudes, toutes les passions d'un homme en vie, et si j'en crois le regard qu'il m'a lancé avant de disparaître, je pense que s'il avait été vivant à ce moment-là, il m'aurait embrassée.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité