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A ta mémoire
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8 septembre 2006

I Leïla

Je m'appelle Leïla. Mon nom de famille n'a que peu d'importance. D'ailleurs, mon prénom a peu d'importance, lui aussi, mais je dois bien me désigner par un mot, avoir une identité. Sans nom, nous ne sommes plus rien. Un simple mot. Vous qui me lisez, vous me connaîtrez par ce nom. L'être humain a besoin de noms pour se retrouver, pour sortir du chaos. Celui-ci sera le mien. Mon nom, ma carte de visite.
Je m'appelle Leïla et j'ai vingt-deux ans. Vingt-deux ans, l'âge de toutes les envies, de toutes les joies, de tous les plaisirs, de toutes les insouciances. Pas tout à fait adulte encore, pas encore sortie de l'enfance, de ses derniers rayons, de ses derniers cadeaux. J'ai pénétré trop vite dans ce monde adulte. Le monde dur et sans pitié. Je ne veux pas du monde adulte.
Vingt-deux ans. L'âge où la sensualité se développe, où la sensibilité s'exacerbe. On souffre tant, lorsqu'on est jeune! Tout le monde le sait. Je ne veux pas souffrir, j'évite la souffrance. Qui sait quel événement prochain, éventuel, pourrait sans difficulté me réduire à néant?
J'ai de longs cheveux noirs, des yeux très sombres. Mon aspect physique reflète ma personnalité: renfermée, introvertie. Je ne parle qu'à ceux qui me parlent.
Pourquoi est-ce que j'écris ceci? C'est totalement stupide. Comme si un morceau de papier pouvait entendre ce que je lui dis. J'ai acheté ce cahier dans une papeterie, il est relié d'un tissu rouge foncé. Pourquoi est-ce que j'écris? A qui je m'adresse, à qui je parle? Si je trouve ces mots, c'est bien que quelque part, je m'attends à ce qu'ils soient lus. Mais qui les lira? Qui voudrait les lire? Qui ma vie pourrait-t-elle intéresser? Dans cette mentalité profondément égoïste, pourquoi écrire sur soi, sinon pour sa propre satisfaction, son orgueil personnel? Ecrire sur soi est égocentrique. L'écriture de soi est orgueilleuse. Mais écrire témoigne aussi d'une solitude, d'un sentiment de n'être écouté, de n'être entendu de personne. Personne à part soi-même. On s'écoute. Parce que personne d'autre ne le fait. Honte, pudeur. Des choses qu'on ne peut pas dire. Des choses qui ne regardent personne.
Pourquoi j'écris, moi? Je l'ignore. Je jette ainsi des mots sur cette page, des pensées, des idées, je jette ces mots de moi, ces mots sur moi, simplement parce que j'ai une page blanche, un crayon et des pensées. Et la page noircit. Pour qui, je ne sais pas.
Ou plutôt si, je sais. J'écris pour mes descendants, pour mes enfants, pour ceux qui m'aimeront par le sang et qui, eux, pourront sans honte et sans pudeur lire ces lignes lorsque je ne serai plus de ce monde. Je leur écris pour leur montrer qui je suis, je veux être immortelle sur cette page par le sang qui coule dans mes veines et qui coulera après moi dans d'autres veines. J'écris pour que l'avenir sache qui j'étais.
Car l'avenir saura, puisque j'ai déjà une petite fille. Elle a six mois, elle s'appelle Gwendolyne. Ses cheveux sont aussi noirs que les miens, mais ses yeux sont d'un bleu clair, lumineux, presque gris. Un ciel voilé. Lorsqu'elle lève vers moi ses grands yeux de bébé, je sais qu'elle est vouée à accomplir de grandes choses. C'est inscrit dans ses prunelles. C'est une enfant très en avance, très calme. Elle ne pleure que rarement. Gwendolyne est mon trésor, elle est tout ce que j'ai, elle est ma vie puisque'elle est mon futur.
Gwendolyne n'a pas de père. Pourquoi? C'est un secret que je n'ai avoué à personne, par pudeur, par honte peut-être. Gwendlyne n'a pas de père pour la même raison que celle pour laquelle j'écris. Une raison qui peut être expliquée par des mots fort simples. Par quelques mots que n'importe qui pourrait lire et comprendre, même sans les croire. Et pourtant jamais ces mots n'ont pu être prononcés, jamais ma bouche n'a pu les formuler, jamais ils n'ont pu franchir la barrière de mes lèvres. Pudeur? Certainement. Honte? Non. Peur. De ne pas être comprise, ni acceptée dans ce monde égoïste, réglé par des normes desquelles il ne faut pas sortir. Mais si j'écris maintenant, c'est probablement parce que je ne peux pas me taire plus longtemps, et parce que je sens que bientôt, on aura besoin de cette vérité, bientôt ces mots seront lus.
Il faut que je l'écrive mais je ne le peux pas. Qui me croirait? Je suis de celles que l'on appelle, dans le langage populaire, "sorcières". Quel horrible mot! Il ne veut rien dire. Il a transformé la beauté que peut avoir cet art, la pureté de ces croyances, sous un terme barbare inspirant la terreur et le blasphème. Des images de bûcher qui camouflent tant de siècles où furent célébrés la vie, l'amour, le bien. Tant de siècle pour développer cette science, et l'on nous pourchasse, on nous déteste. Alors que nous sommes au vingt-et-unième siècle, nous nous cachons. Seule cette feuille peut entendre cette révélation, lire cet horrible mot et lui redonner tout son sens originel. Ce sens que je veux que Gwendolyne connaisse, comprenne et applique. Pour ce qui est de son père, ou plutôt de son absence de père, je l'expliquerai plus loin. Parce que je vais tout raconter depuis le début. Dans l'ordre.

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Commentaires
G
Je tourne les pages et je te dis tout!!
B
Je suis tombée un peu par hasard ici, et je vais me poser tranquillement pour lire tout ça. J'espère que la suite est aussi intéressante que le début, ça promet :)<br /> Sur ce...
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